Création le 28 Janvier 2005 - L'ALLEGRO - MIRIBEL
Le
BORGNE ou Holocaustum
de
Eduardo MANET
TRAGEDIE BURLESQUE:
Nous
sommes dans l'antichambre d'un grand cirque. Une de ces arènes, aux gradins
bourrés à craquer d'un peuple qui frémit, avide du spectacle
à venir : des lions vont se régaler ! Dans l'antichambre,TIBULUS,
CUMULUS, MARTIBUS. Trois hommes, trois potes. Ce sont de pauvres types, trois
paumés, “brigands de petits chemins”, voyous sans envergure…
qui, même dans la rapine, n'ont pas vraiment réussi.
Ils ont été pris en flagrant délit.
Alors, ils vont payer. Ils vont mourir en public !
Au
début de la pièce, ils se disputent violemment !
Car l’Empereur vient de se rallier à « la nouvelle foi ».
Et celle-ci impose que l’un d’entre eux soit volontaire pour entrer
dans l’arène. De plus, celui qui sera volontaire pourra demander
ce qu'il veut.
Tibulus sera volontaire et ses vœux, bien prosaïques seront exaucés.
Mais, à l’heure du sacrifice, Tibulus va prendre peur et refuser
« d’y aller ».
Alors, le BORGNE....
Mise en scène : Thierry CHANTREL
Avec :Philippe FABRE, Bruno FONTAINE, Eric PASTUREL, Gérald ROBERT-TISSOT
Musique : Yvan PERRIER
Lumières : Denis SERVANT
Scénographie : Sylvain DESPLAGNES
Costumes : Etienne COULEON
Coproductions : l'ALLEGRO de MIRIBEL, l'ODACC du CALVADOS,l'Espace ALPHONSE DAUDET de COIGNIERES
Au
fil des ces dix dernières années, nous avons porté à
la scène une famille déjantée, un héros torturé,
des otages exécutés, des artistes fatigués, des soldats
“épistolaires”, un spectre nommé William, des sœurs…secrètes,
des comédiens dévoyés et des hommes d'affaires tourmentés…
Dans une société qui semble vouloir progressivement réduire
le rôle du spectacle vivant au rang de simple divertissement rentable,
la Compagnie SORTIE DE ROUTE réaffirme sa résistance au chant
des sirènes de l'argument mercantile.
Notre art est trop précieux pour que nous prenions le risque de la futilité.
Nous passons inlassablement de la comédie à la tragédie,
de l'adaptation de roman à l'écriture, de la mise en scène
d'incontournables oeuvres classiques aux textes les plus contemporains. Nous
explorons, avec délectation, le vaste champ des possibilités d'échanges
entre acteurs et publics..
Or, il existe un thème qui requiert particulièrement un traitement
artistique, parce qu'il ne connaît de réponse nulle part ailleurs
que dans les limbes de la pensée, un sujet bien plus que séculaire
et pourtant absolument ancré dans le présent, agitant les esprits
et troublant les âmes, vraisemblablement pour l'éternité.
Il est ainsi résumé par Edgar Allan Poe : “En naissant
nous mourons et notre fin découle de notre commencement” :
Et il est au cœur de LE BORGNE ou Holocaustum, d'Eduardo
MANET
UNE DECOUVERTE :
La mort est la chose la mieux partagée de l'humanité : cet instant
devant lequel, pour une fois, riches ou pauvres, les hommes se retrouvent à
(une relative) égalité.
Toutefois, mort à la guerre, de vieillesse, de maladie ou d'amour, on
peut croire ou ne pas croire à la promesse d'un au-delà. Et cela
change considérablement la vision de l'Instant Ultime, voire la manière
d'envisager toute son existence.
Moi, qui "sent fort le fagot", j'avoue être d'abord étonné,
ému, puis bouleversé par ceux, qui soutenus par leur foi, se dirigent
vers une mort acceptée à défaut d'être sereine, parce
qu'ils connaissent la destination du dernier voyage.
J'ai été témoin privilégié d'un tel événement
et depuis, sans avoir jamais rencontré la foi, mon esprit porte la trace
indélébile de ce souvenir.
UNE
PRISE DE CONSCIENCE :
J'ai récemment longuement discuté avec un prêtre. J'aurais
voulu lui prouver, en “anti-théologien” de pacotille, l'inexistence
de Dieu. Je développai mes arguments : enfants morts-nés, enfants
de la guerre, Afghanistan, Rwanda, Irak, Tchétchènie, Israël,
Palestine… malformations congénitales. Je concluais par l'apparente
impuissance de Dieu face à la folie des hommes et l'absence de preuve
de son existence.
Avec calme, il me répondit ces quelques mots : “Le doute fait partie
intégrante de ma foi. Elle n'est pas aveugle. Et plus je doute, plus
j'ai la foi !” Il ajouta : “Ne croire en rien est aussi une forme
de croyance”. Irréfutable. La logique l'emporte donc : J'ai foi…dans
ma “non-foi” . Je ne crois pas en un quelconque Dieu, et c'est ma
façon de croire !
Infernal et divin cercle vicieux ! Jeu de pistes pour les neurones, plaisir
de la métaphysique !
Devrais-je chanter, comme Tonton Georges, ce “gros mangeur d'ecclésiastique”:
“J'voudrais avoir la foi, la foi d'mon charbonnier, qu'est heureux comme
un pape et con comme un panier! ?” Mais jusqu'à présent,
ce qui me sert d'âme reste sourd à l'appel du divin…
DES
REALITES :
Dieu existe-il ? N'existe-il pas simplement parce que les hommes savent qu'ils
vont mourir ? Si nous étions Immortels, aurions-nous besoin d'un Dieu
? Serions-nous meilleurs et plus sages si nous étions perpétuels
?
La croyance ne devrait-elle pas se réduire au cercle intime ? Les religions,
qui imposent toutes une forme immuable à la figure de leur Dieu, ne corrompent-elles
pas immanquablement cette conviction intime ?
Si le champ ouvert par ces interrogations est immense, en revanche, certaines
conséquences de l'exercice de la foi dans le comportement des hommes
sont parfaitement tangibles et contradictoires.
D'un coté : des institutions généreuses : Secours catholique,
Compagnons d'Emmaüs, missions humanitaires… Partout sur la planète,
des hommes tendent leurs mains charitables au profit des laissés-pour-compte.
De l'autre : des affrontements meurtriers sur fond de religion: croisades, inquisition,
évangélisation dévastatrice de l'Afrique, des indiens,
guerre d'Irlande, ayatollahs et intégristes de tout bord, conflit Israélo-palestinien.
Partout, au nom de Dieu, des hommes provoquent ainsi désolation et carnages…
Et juste avant la bataille qui ne verra qu'un vainqueur, les deux camps implorent la protection de leur Dieu (souvent le même). Puis, dans son infinie sagesse, Dieu choisit son camp…
“Le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas” . André Malraux avait raison et l'on peut, constater avec lui qu'en ce début de millénaire, la spiritualité, dans sa version la plus extrême et fanatique, est au premier plan des préoccupations mondiales. Et la foi, porteuse par essence d'un message de paix et de fraternité, devient, quand elle est combinée à l'exercice du pouvoir, un des grands dangers qui menacent la planète.! Infernal paradoxe…
Eduardo Manet, écrivain cubain, a écrit LE BORGNE
en 1972. J'ai découvert la pièce et l'auteur il y a une bonne
quinzaine d'années. Depuis, ce texte est souvent revenu à la surface
de mes envies de création, pour s'y installer définitivement,
au premier rang.
Il traite de tout ce qui précède. C'est un grand écrit
de théâtre, destiné à un large public. Il compose,
sur le mode burlesque, une féroce parabole christique. Il provoque, à
chaque phrase, à chaque retournement de situation, des éclats
de rire et des questions sans fin. Monter LE BORGNE, tragi-comédie au
langage théâtral évident et moderne, va me permettre, non
pas de trouver la moindre réponse à mes questions transcendantales,
mais d'alimenter le débat avec force et humour.
Extrait
:
TIBULUS: Alors, il faut que je me dépêche, je dois sentir avec
beaucoup plus d'intensité... Connaissez-vous l'histoire du pendu? C'était
un pauvre bougre que j'ai connu dans le temps... un jour, il en a eu marre,
alors il essaya de se pendre, mais la corde s'est cassée... et il a pris
un sacré coup sur le cul... Il m'a raconté qu'entre le moment
où il serra le nœud autour de son cou et celui où la corde
se cassa, sa vie entière défila devant ses yeux, en deux secondes,
mon vieux. Voilà. C'est ça qu'il appelait avoir des sensations
fortes... Moi aussi je veux vivre le plus intensément possible, tout
de suite... plus fort... toujours plus fort.,. Allez, vous aussi ! On apprend
les choses utiles quand il est trop tard. Pour nous aider, nos parents, nos
amis, auraient dû nous rappeler à chaque instant que la mort est
toujours proche. Nous aurions ainsi compris le véritable sens de la vie,
car tout est fragile, périssable. Notre passage sur terre est si éphémère...
Si on nous répétait souvent que la Mort est là, peut-être
cesserions-nous de faire les cons... Pense à ta mort!
J'y pense ! je ne pense pas qu'à ça, mais j'y pense !
Thierry
Chantrel.